PREMIÈRE PARTITION, LA MÉLODIE — 13 novembre, alors que le gèle d'un hiver hâtif mordille les carreaux d'un appartement urbain, les exclamations paniquées d'un couple résonnent dans les couloirs de l'immeuble. Les sens de Saar Noetherheim s'éveillent dans une grande clinique de la ville d'Oslo, dont ses parents ne sont pas originaires. Ils viennent tous les deux d'une petite ville d'Angleterre, où ils ont su chacun faire germer les graines de leur succès. Entre un père chef d'orchestre et une mère chanteuse de jazz, Saar naît dans une bulle mélodieuse. Ils sont tous les deux solitaires, n'invitent pas grand monde dans leur immeuble en brique et Saar imprègne bien rapidement ce besoin de solitude et de musique. Suivie par ses parents, elle apprend son solfège aussi précocement que la lecture, ses doigts passent plus de temps contre les cordes de sa guitare, sur les longueurs de sa flûte traversière ou sur les touches de son piano que sur des jouets pour enfants. Son enfance est rythmée par les déménagements, les changements de langue ; l'anglais de Saar finit teinté par un tas d'accents, l'Europe de l'Est, la Grande-Bretagne se font entendre dans l'intonation de ses syllabes. Quand on lui demande d'où elle vient, elle-même ne sait pas.
SECONDE PARTITION, L’ARRACHÉE — Ce qui marque l'adolescence de Saar, c'est le sourire éclatant de Nastasia. Après plusieurs années de voyage, les Noetherheim s'installent dans un nid douillet, de retour à Oslo pour de bon cette fois. Saar rencontre son amie lors de sa dernière année de collège, et si elle n'ose pas mettre de mots sur les sentiments qui réchauffent son cœur à la vision de son amie, elle sait qu'elle est amoureuse.
La révélation est un crève-cœur pour elle qui connaît l'opinion de ses parents. Ses années au lycée se ressemblent ; Nastasia, Nastasia, encore Nastasia. Cette dernière, originaire de Russie, partage l’impression d’étrangeté que Saar éprouve en face de ses camarades, et elle trouve en son amie un refuge contre toutes les tempêtes. Elle pince ses lèvres entre elles lorsque ils discutent de relations amoureuses, pour ensevelir des sentiments qui décevraient ses parents, eux qui rêvent déjà d’un mariage avec un homme à la bonne éducation.
C’est un soir, celui qui marque l’obtention de son diplôme, qui brisera la relation des deux filles pour de bon. C’est une voisine, la langue trop pendue, qui dévoile le lien spécial qui unit Saar et Nastasia à ses parents. Lors de cette tempête là, Saar ne trouve pas de refuge. Sous la pression de ses géniteurs, elle finit par tirer un trait sur la seule personne qu’elle a véritablement aimé et quitte la ville pour rejoindre une faculté où elle pourra suivre des études de droit. Mais le vide laissé ne se remplit pas, ni par les feuilles de cours qui s’entassent, ni par la mélodie qui se soulève dans son studio dès qu’elle en a le temps.
TROISIÈME PARTITION, L’ENVOLÉE — Les années adolescentes de Saar sont bercées par trois passions : Nastasia, la musique, et l'équitation. La dernière passion est balayée, mise de côté, rangée au placard à la suite du commencement de ses études de droit. Elle se plonge dans ses études dans une tentative de rendre ses parents fiers, ces perfectionnistes qui ne voient que ce qui manque, jamais ce qui est déjà présent.
Mais les mois passent, la rancœur se presse contre toutes ses pensées. Il lui est bientôt difficile de penser à autre chose qu'à sa mâchoire qui se serre instinctivement dès qu'elle songe à ses parents — heureux ensemble, comme s'ils n'avaient pas brisé son bonheur à elle. Les études de droit, qu'elle suit pour faire plaisir à ses parents et reprendre le flambeau de son grand-père procureur, lui paraissent bientôt amères. Elle semble être un piège qui se referme sur elle, lui interdisant la liberté dont elle rêve.
Le dernier coup de téléphone qu'elle échange avec ses parents se finit sur un silence empli de colère : Saar annonce l'abandon de ses études, et c'est la voix tremblante de sa mère qui accueille cette décision, avant que cette dernière ne raccroche brutalement. Le silence parait à la fois lourd et libérateur. Pour la première fois depuis longtemps, à l'aube de ses 24 ans, Saar se sent capable de choisir. Les choix qui s'offrent à elle sont nombreux ; elle peut rejoindre une école de musique, se lancer dans de nouvelles années d'études. Son premier réflexe, à la pensée d'un avenir radieux, est d'appeler Nastasia. Cette fois, ce n'est pas une voix colérique ou un silence qui l'accueille, c'est la voix de Nastasia, et dans le fond, la voix d'une autre femme.
C'est trop tard pour Saar, trop tard pour retisser les liens d'une relation arrachée. Mais ce n'est pas trop tard pour l'envolée ; elle retrouve les rêves de l'adolescence, cette impression de pouvoir faire tout ce qu'elle veut essayer. À force de recherches, elle découvre l'existence d'une école qui semble être le terrain idéal pour la construction de nouveaux rêves.
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Mer 16 Déc - 13:18
