« T’en as d’autres des idées à la con comme celle-ci ? » crache-t-il après avoir feint d’écouter jusqu’au bout l’exposé de son cousin.

Il n’est pas convaincu par l’idée de Leny, pour ne pas dire décidé à s’y opposer. S’il n’a pas passé autant de temps que lui dans le haras nomade, un an an et demi d’expérience contre trois et demi, il reste persuadé qu’il s’agit de la meilleure option pour ses projets. L’internationale, ça lui plaît. Quand bien même cela peut être parfois compliqué du point de vue administratif, il s’y est fait et n’a jamais été refroidi par cette réalité des choses. Ce genre d’obstacle ne lui a jamais fait peur, et ce n’est pas aujourd’hui que cela changera. Alors, non, il ne compte pas se retenir d’exprimer son désaccord.

« Parles-en au moins au vieux, si tu te fiches de mon avis. »

Ne bronchant pas, l’allemand se contente de toiser son cousin plus sévèrement. Il a mis tant de temps à gagner son indépendance, à se rapprocher de son objectif ultime. Pourquoi s’arrêterait-il au bout du chemin, alors qu’il ne lui reste que quelques marches ridicules à gravir avant d’y parvenir enfin ? Il n’en a guère envie. Sa place n’est pas ailleurs qu’en cette académie nomade, l’évidence lui en crève les yeux. C’est une écurie globe-trotteur qu’il lui faut pour rivaliser avec ce démon qui ne l’a jamais quitté. Parce que son sang coule dans ses veines, il ne peut s’empêcher de voir grand, de rêver de le surpasser. Et pour cela, il ne peut se restreindre à un seul pays. Il veut le surpasser, se surpasser.

« Putain, mais pense un peu à Katharina. » soupire l’autre, à court d’arguments pour tenter de le convaincre.

À la prononciation du prénom de la danoise, il tique. Les murailles sont brisées par les sentiments logés en son cœur. Sensiblement, l’homme s’adoucit, se montre prêt à abandonner sa position, reconsidérer la question. Pour ce prénom, et tout ce qu’il représente pour lui. Pourtant, il s’obstine à garder les bras croisés, toisant toujours son cousin dans l’attitude la plus sévère. Par principe, il lui faut s’opposer à Leny.

« Donne-moi seulement trois bonnes raisons de m’installer dans un bled italien. »

Longtemps oppressé dans le domaine familial, acculé d’un regard paternel cherchant sans relâche la moindre occasion de sévir, il a déjà traversé bien des conflits. Ce n’est guère sa vision contrastée de celle de son cousin qui le touchera. Les discordes sont nombreuses, familières, entre eux. Mais pour autant, il ne lui est que trop cher. Quand bien même ils s’insupportent, c’est bel et bien Leny qui lui a permis d’intégrer l’entreprise des O’Friel, de fuir sa famille. C’est bel et bien lui, Lothar, qui l’a poussé à reprendre de la rigueur au travail. C’est bel et bien Leny qui, indirectement, l’a contraint à se remettre à la compétition après les accidents ayant touché ce premier et, plus dramatiquement, un autre cousin de sa branche paternelle. Il sait qui ils sont, ce qu’ils font. Leurs routes se séparent, ça n’en fait aucun doute. Sa décision est déjà prise, mais il veut toutefois entendre l’irlandais se démener plus longtemps.

« Tu n’auras pas à la quitter une nouvelle fois. Ça c’est la raison numéro un, même si je suppose que tu t’en fiches bien. Ensuite, l’Italie n’est pas un mauvais emplacement pour un siège en Europe. Elle est bien plus centrale que l’Irlande. Ça c’est la deuxième raison. Et surtout, justement, tu pourras offrir une concurrence directe à ton père. »

Tirant le bâton incandescent glissé entre ses lippes, il offre un regard plus intéressé à celui qu’il affublait autrefois de bien des sobriquets à la seule fin de le déstabiliser. Il voit juste, à présent. Cette année et demie passée à arpenter ensemble le globe n’a pas été sans enseignement. Soulagé, peut-être, de constater les fruits de son travail, ou seulement contraint de reconnaître la justesse de ses propos, ses commissures s’étirent finement.

« Énoncées ainsi, ce sont des perspectives plus qu’alléchantes. » tranche-t-il enfin, décidé à ne plus jouer davantage.

Ce sont ici que leurs routes se séparent. Pour combien de temps, il l’ignore encore. Seul l’avenir le leur dira. Probablement toujours, si ce n’est jamais. Il le sait, ils le savent. L’Irlande et l’Italie ne sont guère étrangères l’une à l’autre. Comprises dans le même espace, elles offrent bien des terrains de jeu. Il n’y perd pas grand-chose non plus, bien au contraire. L’affaire lui semble bien plus bénéfique qu’autre chose. Pour un O’Friel de perdu, il en gagne un autre, dont les objectifs, et le passifs, sont bien plus similaires au sien. Ses plans sont déjà faits, ses bagages n’ont plus qu’à être bouclés.

Si une chose ressort le plus chez l’allemand, il s’agit d’un seul fait : il est rare de l’apprécier.

Et pour cause, il faut savoir s’accrocher pour le supporter. Le brun ne parle que très peu, et s’il daigne placer quelques mots, il n’y a que deux raisons possibles. Soit parce que cela s’avère nécessaire, soit pour enfoncer son interlocuteur, le tirer vers le bas pour son simple plaisir. L’allemand ne craint nullement les conflits, auxquels il est largement habitué et dont il trouve toujours le dernier mot. Il ne sert à rien de s’entêter à aller contre lui, il saura être celui dont l’opinion sera la plus affirmée. Mais loin d’être impulsif, il réfléchit constamment, de sorte à prévoir un maximum d’issues possibles. Stratège, sûrement, à force d’avoir eu à se sortir de nombreuses prises de tête avec son paternel, rien n’est laissé au hasard lorsqu’il se décide à intervenir. Mais lorsqu'il ne l’ouvre pas, il pourrait presque être agréable, si l’on oubliait ce regard observateur qui guette les moindres faits et gestes. S’il est toujours présent pour rabaisser les autres, il se moque éperdument de ce que ceux-ci peuvent penser de lui. Seule sa réussite lui importe.

Lothar, c’est surtout cette figure froide, distante, presque hautaine. Une cigarette glissée au coin des lèvres, attendant sagement qu’on lui donne l’occasion de piquer. De temps à autres, il peut pourtant lui arriver d’esquisser un sourire, mais la raison n’en est jamais vraiment connue. Moquerie, bienveillance soudaine ou satisfaction, ce n’est jamais bien clair. Parfois, mieux vaut ne pas savoir ce qui peut se passer dans sa tête. S’il ne montre aucune marque d’affection, il a pourtant sa manière à lui d’apprécier les gens. Sarcastique, plus il sévit, plus grande est sa sympathie. Le célèbre proverbe qui aime bien châtie bien lui est largement applicable. A contrario de ces mots piquants, il n’est, curieusement, pas réellement violent. En réalité plutôt doux, il ne s’emporte jamais dans des excès volcaniques. Il a aussi sa manière à lui de veiller à ce que ses proches se portent bien. Probablement jaloux dans le fond, il ne supporte pas que quelqu’un prenne sa place, le monopole doit être sien.

Trop souvent brisé, il a dû apprendre à se reconstruire seul. L’alcool et la clope sont ainsi, selon lui, les remèdes à tous les maux. Du moins, il continue de le penser en dépit de sentiments retrouvés en son palpitant. Sachant qu’on ne peut généralement compter que sur soi-même, il ne manque pas d’assurance, et son très bon niveau équestre ne lui vient que d’un apprentissage autodidacte. Décidé à acquérir sa propre équitation, il n’a jamais eu de maître, s’est contenté d’observer, de tester, de réfléchir. Maîtrisant parfaitement l’allemand, l’anglais et le gaélique, il sait en tirer profit pour rester indépendant dans toutes les situations. Il ne demande jamais de l’aide et on dépend plus de lui contre son propre gré qu’il ne dépend des autres. Une part de lui se montre pleine d’ambition, excitée par l’opportunité qui se présente à lui. Derrière toute sa détermination et son sérieux se cache un objectif, un rêve qu’il s’est promis de concrétiser : monter sa propre écurie et parvenir à faire concurrence à son père.

Sportivement parlant, Kleines a été un cheval assez tardif, qu’il a fallu prendre le temps de laisser grandir avant de le former. Il n’a débuté les compétitions qu’à l’âge de sept ans après une courte carrière de reproducteur mais son léger retard sur les autres chevaux de sa tranche d’âge ne l’a pas empêché de parvenir rapidement à s’illustrer à un niveau convenable. C’est d’abord sous la selle d’un cavalier expérimenté qu’il a fait ses preuves pour la première fois avant d’être rapidement confié à Lothar. Le couple s’est formé avant que l’allemand ne soit plus en âge de participer aux compétitions réservées aux poneys. L’alezan est ainsi devenu le pilier de son piquet de chevaux, si bien que le brun ne l’a jamais vraiment oublié après avoir quitté le domaine familial pour évoluer plus librement à Full Horse.

Un amour de cheval, une bouille d’ange, un concentré de gentillesse... Les occurrences positives ne manquent pas pour qualifier le bel alezan. Et pour cause, son comportement est tel qu’il est compliqué de trouver quoi que ce soit à lui reprocher. Le hongre garde une attitude exemplaire en toutes circonstances bien qu’il fasse souvent preuve de trop de sensibilité, toute qualité trop remarquable entraînant nécessairement son lot de défauts. En dépit de cela, de par son expérience et sa relative facilité, il fait office de partenaire très à l’écoute et idéal pour s’initier ou se perfectionner au sport et ce autant en dressage, qu’à l’obstacle ou sur un cross. Doté d’une très bonne bouche, l’alezan peut être monté en mors simple sur les trois tests du concours complet. Très respectueux de la main, il n’est pas du genre à se braquer contre celle-ci, bien qu’un contact trop franc puisse le pousser à se figer dans l’ensemble de son avant-main et détériorer ainsi ses allures. Son trot séduit particulièrement en dressage tandis que son galop ample et cadencé en fait une monture endurante sur le cross. Les avis s’accordent à dire qu’il est plutôt confortable à monter mais qu’il peut toutefois se montrer de temps à autres un peu trop froid, lorsque l’émotion ne le gagne pas, bien entendu. Appliqué sur les obstacles, il se montre généralement respectueux de ceux-cis, bien que la confiance l’amène parfois à négliger le rabat de ses antérieurs. Bien que franc à l’origine, l’expérience lui a appris qu’un refus l’économisera plus que de mauvaises conditions rattrapées de justesse et dont l’issue n’est pas assurée. Il demande ainsi un cavalier soigneux et capable de lui donner le cœur nécessaire à venir à bout de toutes les difficultés. La patience est le principal trait de caractère qui se dégage du holsteiner lorsqu’on le conduit en main. Kleines respecte toujours les distances de sécurité et il serait bien le dernier à envahir l’espace personnel. Enfin, en tant que hongre, on pourrait se laisser penser que Kleines peut vivre avec bien des chevaux différents. Toutefois, il s’avère plutôt dominant vis à vis de ses congénères et il s’avère ainsi préférable de ne pas le faire vivre avec de forts caractères.